Complexité et diversité des identités
Si aucune identité n’est simple, celle des Sépharades l’est peut-être moins encore. Adeptes de la philosophie, de l’apprentissage des sciences, de l’éducation à la fois profane et religieuse, ils sont érigés en modèles par les penseurs des Lumières en Europe, qui voient en eux de possibles futurs citoyens. C’est toujours eux que les révolutionnaires émancipent en premier en France dès 1790.
Issus de la péninsule Ibérique, après leur expulsion au xve siècle, ils suivent des trajectoires et connaissent des vicissitudes multiples, créant des univers culturels imprégnés par leur environnement aussi bien musulman que chrétien. Ainsi gardent-ils les traces de ces passages avec une spécificité juive qui leur est particulière. Dans leurs lieux d’exil, allant de l’ouest de l’Europe jusqu’à l’est balkanique, en passant par l’Empire ottoman et le Maghreb, puis les colonies de l’Atlantique, ils assistent et participent aux changements qui s’y opèrent, prennent le mouvement de la modernité en marche.
Juifs d’abord, puis, pour ceux qui sont forcés à la conversion en Espagne et au Portugal, juifs et chrétiens, juifs à la maison et chrétiens dehors, ou chrétiens tout court ; juifs et musulmans, ou musulmans seulement. Ces départs et ces retours deviennent constitutifs de ces identités sépharades fluctuantes, mais qui par là-même ont su conjuguer les différents apports de leur « statuts religieux », portes d’ouverture ou d’accès à des sensibilités aux contours pluriels.
L’Holocauste avait voué à l’oubli leur patrimoine aussi bien en Occident que dans les Balkans où ils s’étaient dispersés autrefois, cultivant leur particularité judéo-espagnole pendant des siècles. Ce sont les itinéraires de ces Sépharades sans patrie, mais toujours patriotes de leur mythologie ibérique, que cet ouvrage retrace à travers des destins individuels.